Un géant de l'esprit, tel apparaît sans conteste Saint Augustin lorsqu'on considère, dans son oeuvre immense, ne serait-ce que ses réponses à cinq questions philosophiques comme : la vérité, Dieu, la création, l'âme et le bien.
Ses écrits rassemblent ce qui relie, sans solution de continuité, l'Antiquité au christianisme d'Occident. Sa pensée puissamment créatrice réunit des approches de multiples dimensions que, dans son ouvrage sur saint Augustin, Karl Jaspers résume ainsi : « Cet esprit sans cesse en action, universel pour son temps et animé d'une passion impétueuse, fait constamment la lumière en lui-même, et ce qu'il perce à jour, il en fait part avec une volonté de complète sincérité qui n'empêche qu'à la fin nous nous interrogions tout de même. Son être semble manifester des traits de noblesse et de banalité. Sa pensée se meut dans les spéculations les plus sublimes et dans des platitudes rationalistes, elle est portée par de hautes conceptions bibliques de Dieu sans pourtant se fermer à la superstition.
Les grandes questions de fond sont, dans leur dialectique, en même temps des moments de sa vie personnelle... Sa pensée se déploie dans de puissantes contradictions. Elle se réfère sans cesse à la fois à l'actualité de son expérience du moment et à l'unique chose qui importe. » Cette oeuvre, en particulier dans les Confessions, se présente comme une quête passionnée de la vérité, jusque dans des profondeurs insondables.
Aurelius Augustinus est né le 13 novembre 354 à Thagaste, en Numidie, d'un père païen - Patricius - et d'une mère chrétienne : devenue Sainte Monique. Il étudia la rhétorique à Carthage et, à dix-neuf ans, il l'enseignait dans cette même ville. D'une concubine il eut un fils, Adéodat. Attiré d'abord vers le manichéisme, il s'en écarta après avoir rencontré en 383 Faustus, le grand docteur de la secte. Traversant une grave crise existentielle et intellectuelle, il commence d'étudier la philosophie néoplatonicienne et les épîtres de saint Paul. Sa rencontre avec Ambroise de Milan provoque sa conversion : en compagnie de son fils, il reçoit le baptême dans la nuit pascale du 24 au 25 avril 387. Ses Confessions portent le récit de cette conversion. Il vécut les année suivantes dans une communauté spirituelle fondée par lui, et fut ordonné prêtre en 391 par l'évêque Valère d'Hippone, dont il fut élu le successeur en 396. Il prit part au concile de Carthage (398). Il combattit par de nombreux écrits les hérésies, s'en prenant en particulier aux donatistes et aux pélagianistes. Son oeuvre la plus marquante dans l'histoire intellectuelle, La Cité de Dieu, lui fut inspirée par l'entrée des troupes d'Alaric dans Rome (410) et l'occupa de 413 à 426. Il mourut lors du siège d'Hippone par les Vandales, en 430.
Saint Augustin a imposé la vérité contre et sur le scepticisme de son époque. Tandis que les sceptiques doutaient de la vérité par amour du doute, Augustin les conteste précisément sur ce point en écrivant : « Chacun peut douter de ce qu'il veut, mais on ne saurait douter de ce doute lui-même. » Donc la vérité existe. Le prototype de la vérité, Augustin le trouve dans les équations mathématiques. Des vérités comme « un et un font deux » fournissent le modèle des « règles » selon lesquelles l'esprit rationnel perçoit le sensible, le lit, le mesure, le calcule et le rectifie. Ces règles ressortent à de l'a priori, car face à l'expérience l'homme se révèle libre et autonome : souverain. L'expérience est un matériau dont l'homme dispose en toute responsabilité. D'où la théorie de l'illumination : celle-ci procède d'un retour à la source intérieure de vérité, au sens d'une nature apriorique de l'esprit humain. A ce stade, il n'est donc nullement question de grâce !
Puisque la vérité réside à l'intérieur de l'homme, le pas suivant est pour Augustin de l'ordre de l'évidence : cette vérité, c'est Dieu. Il y parvient en suivant la démarche de Platon, de l'eros au Beau et de là à l'archétype du Beau : à savoir d'une vérité individuelle à la vérité unique par laquelle est vrai tout ce qui est vrai, parce que tout participe à la vérité. Cette démarche atteste en même temps que Dieu existe et qu'il est la totalité du vrai, qu'il est la bonté du bien, et l'être de tout étant. A partir de ces idées, Augustin aboutit finalement à sa théorie de l'exemplarisme : aucune catégorie ne saurait être appliquée à Dieu, parce qu'il est tout et rien de ce tout, parce qu’il dépasse tout. Mais le monde est son image et son symbole, parce que, lieu de toutes les images originelles, il est créé selon ses idées.
Du coup, pour Augustin, le concept de création devient un concept philosophique et non plus théologique, parce que la création repose sur un acte de la libre volonté de Dieu. Elle se situe en dehors du temps, car le temps n'est né qu'avec la création. Mais, dès lors, Augustin ne peut dire comment s'est produit la réalisation de la création. A travers des catégories et des représentations spatio-temporelles, c’est une question sans réponse. En revanche il se demande si le temps n'a pas une extension spirituelle, ou s'il n'est pas une extension de l'esprit lui-même.
Il commence par distinguer le temps de l’éternité, posée comme foncièrement autre. L'être éternel se possède lui-même, tandis que l'être temporel est morcelé et ne fait d'abord que devenir. Augustin pose ainsi les fondements de toute la pensée médiévale de l'ordre du monde, car dans sa perspective la matière a été créée, et créée à proximité du néant, seules les idées originelles et éternelles sont vraiment et pleinement. C'est par elles que tout est ordonné selon la mesure, le nombre et le poids. Ces conceptions ont marqué durablement les représentations médiévales.
Dans ce qu’il dit de l’âme, Augustin souligne sa primauté sur le corps. La substantialité de l'âme réside pour lui dans le triple contenu de la conscience du moi : réalité, autonomie et durée. Le moi n'est pas la somme des actes, il les possède en tant qu'il est quelque chose de réel, d'autonome et de durable.
Le bien, pour Augustin, est donné avec la « loi éternelle », conformément à laquelle est bon non seulement l'homme, mais aussi l'étant. Par loi éternelle, Augustin entend la volonté de Dieu, qui commande de se conformer à l'ordre naturel. C'est pourquoi la loi éternelle est un ordre parfait où trouvent place, chacun dans son secteur, l'être de la nature comme monde physique (loi naturelle), l'être idéal des jugements logiques (loi de la raison) et l'être des prescriptions morales (loi de la volonté).
Sa philosophie des valeurs et de la félicité se retrouve dans une philosophie de l'histoire, sous le titre La Cité de Dieu. Le sens ultime d'une cité idéale, d'un État se pliant à l'ordre de Dieu et voyant en Dieu le but de toutes ses oeuvres, c'est la victoire du bien sur le mal. C'est ce qu'exige, selon Augustin, non seulement l'esprit du christianisme, mais aussi la philosophie.